Nous allons terminer cette journée par un reportage du journal « L’Express »
Pour cibler les bénéficiaires d’aides sociales, le gouvernement s’appuie sur l’intelligence artificielle. Un système unique en Afrique.
Des toits de chaume et de tôle, un sol et des routes de terre battue : vu du ciel, Ganavé Anamé ressemble à beaucoup d’autres villages des environs du canton de Ganavé, au Togo. Et ce sont précisément ces indicateurs, observés par images satellitaires, qui ont rendu cette zone défavorisée éligible à un programme d’aides sociales inédit en Afrique. Son nom ? Novissi, « solidarité » en éwé, l’une des langues nationales de ce petit pays du golfe de Guinée.
« Ce fut un cadeau du ciel », lance d’emblée Mensan Kanko, un habitant de la localité. Face au quadragénaire au crâne lisse, une dizaine de petits porcs au pelage noir trottinent dans un enclos aux murs de boue séchée. « J’ai reçu un peu d’argent pendant cinq mois, raconte ce père de quatre enfants. Cela m’a permis d’acheter un porc mâle et une femelle, ils ont rapidement fait des petits que j’ai pu vendre quand j’en avais besoin, ça m’a évité d’aller quémander de la nourriture chez mon voisin. » Peintre en bâtiment, Mensan Kanko n’a pas pu travailler pendant la pandémie de Covid-19.
Au Togo, le virus a frappé de plein fouet la population. Pas tant par sa létalité (216 décès au 21 septembre) que par les restrictions qu’il a imposées. « Le Covid a tout bloqué, résume Ekoe Degbe, représentant du canton. Les frontières ont été fermées, l’accès à la capitale interdit, nos paysans et nos commerçants ne pouvaient plus aller vendre aux citadins. La faim a commencé à arriver.
» Les autorités réagissent dès avril 2020 en mettant en place un programme d’aide à destination des travailleurs informels de la capitale, Lomé. Le principe est simple : les petits vendeurs et artisans s’inscrivent par téléphone avec leur carte d’électeur, sur laquelle figure leur profession. Les hommes sélectionnés reçoivent mensuellement 10 500 francs CFA (16 euros) pendant cinq mois, 12 250 francs CFA pour les femmes (18,50 euros), soit un tiers du smic local. Les bénéficiaires reçoivent l’argent sur un compte lié à leur opérateur de téléphonie mobile et peuvent le récupérer en cash dans un point-retrait à proximité, un système très répandu en Afrique.
Près de 820 000 personnes (un habitant sur dix) ont bénéficié de cette aide pour un montant total de 20,3 millions d’euros, financé par l’Etat togolais, avec le soutien de l’Agence française de développement.
Une bonne idée soufflée par Esther Duflo
Mais pour réussir à toucher les gens dans le reste du pays, il a fallu innover. C’est l’économiste franco-américaine Esther Duflo, Prix Nobel d’économie, qui souffle la bonne idée aux autorités togolaises : consulter des chercheurs de l’université de Californie à Berkeley spécialisés dans l’intelligence artificielle. Ces derniers ont mis au point un algorithme croisant des données satellitaires et téléphoniques pour cibler au mieux les citoyens dans le besoin
Le premier filtre permet, grâce à l’observation d’images spatiales, d’identifier les habitats les plus précaires en détectant l’état des routes, la qualité des toitures ou la fréquence des plantations. Le village de Ganavé Anamé est choisi avec quelques autres. Mais le nombre d’allocataires est encore trop vaste. Un second filtre est alors appliqué, en collaboration avec les opérateurs de téléphonie mobile. Les données des habitants présélectionnés sont passées au crible : fréquence et durée des appels, montant du crédit disponible sur le téléphone. « Un usager qui appelle peu et reçoit peu d’argent de ses proches sur son mobile sera jugé vulnérable », explique Floriane Acouetey, représentante au Togo de GiveDirectly, une organisation caritative américaine à laquelle s’est associé le gouvernement pour mettre en oeuvre Novissi.
L’algorithme mouline alors l’ensemble des données pour établir une carte précise de la pauvreté, maison par maison. « Dans les campagnes, il était difficile de distinguer les habitants les plus nécessiteux, explique Cina Lawson, ministre des Postes et de l’Economie numérique. Il nous fallait un outil pour les géolocaliser rapidement et à distance, car les restrictions sanitaires nous empêchaient d’aller sur place. »
A la distribution de nourriture, le gouvernement préfère le transfert d’argent, sur les conseils, là encore, d’Esther Duflo. Les paniers alimentaires ? Des nids à corruption et une logistique infernale, alerte-t-elle. 140 000 Togolais ont été sélectionnés grâce à ce système.
Parmi eux, Gbedekpe Ekoue. La femme de 45 ans avait laissé son téléphone à la maison au moment où le bip du message indiquant le versement a retenti. « Quand je suis rentrée à la maison, mes enfants sont venus m’annoncer la nouvelle, j’étais d’abord été surprise, puis j’ai ri de joie », se souvient-elle, enveloppée dans un large pagne aux motifs bariolés. Dans sa cour, elle plonge et tourne à la force de ses bras une grande cuillère en bois dans une marmite remplie de bouillie de maïs, posée sur un feu de bois. « Ça m’a permis d’acheter du maïs, et même suffisamment pour aller en vendre au marché du village », se réjouit la mère de huit enfants.
Si les femmes reçoivent un peu plus que les hommes, c’est parce qu’elles se préoccupent davantage du foyer, explique le représentant du canton de Ganavé, Ekoe Degbe : « Les maris pensent moins aux enfants, et certains iront même dépenser leur argent dans la boisson », souligne-t-il.
Jusqu’à présent, l’aide reçue semble toutefois avoir été utilisée à bon escient. « Les ménages bénéficiaires n’ont pas les moyens de gaspiller ces sous, et ils savent que les versements ont une durée limitée », pointe Floriane Acouetey, de GiveDirectly. « A part la nourriture, les familles utilisent cet argent pour les frais de scolarité, ou le font fructifier en achetant plus de semences pour la prochaine récolte. »
Mécanicien de deux-roues, Dosseh Teko a vu son atelier au toit de branches et de feuillages déserté pendant la pandémie. « L’argent ne circulait plus, donc les mototaxis non plus, se désole-t-il. L’aide de Novissi m’a permis de faire de la soudure, et j’ai commencé à acheter de l’huile de moteur en gros pour le revendre en petites quantités. »
A ses côtés, un homme se plaint. Il a reçu, lui aussi, le premier versement. Mais il attend toujours les suivants. Quelques autres habitants évoquent un problème similaire. Des soucis techniques minoritaires, assure de son côté GiveDirectly, qui projette de répliquer son modèle au Kenya.
« Le digital, c’est notre avenir »
Un petit attroupement se forme. Des habitants se demandent pourquoi certains ont touché une aide et pas d’autres. Derrière ces questions, certains n’hésitent pas à accuser le gouvernement. Lors de la première phase du programme Novissi, l’an dernier, l’opposition togolaise a accusé le pouvoir autoritaire de Faure Gnassingbé successeur en 2005 de son père qui fut président pendant trente-sept ans – de clientélisme. Le régime aurait cherché à favoriser ses sympathisants. Une accusation rejetée par les autorités, qui certifient également que les données utilisées par l’algorithme sont anonymisées et protégées.
« Le digital, c’est notre avenir, insiste pour sa part la ministre Cina Lawson. C’est notre clef pour développer le pays en incluant toute la population. » Tirant un bilan positif de l’expérience Novissi-GiveDirectly, le gouvernement compte pérenniser cet outil et l’utiliser en cas d’autres crises sanitaires ou climatiques.
« Le mécanisme Novissi peut servir de maquette quant au développement de la protection sociale » en Afrique subsaharienne, écrivait en 2020 Mouhamadou Moustapha Ly, économiste à l’université Mohammed VI Polytechnique, au Maroc. Si « des efforts importants sont consentis par les pays africains en matière de financement des filets sociaux […], un nombre important de ménages demeurent sans couverture sociale en Afrique », observait-il.
A Ganavé, Nouglo Amoussou-Dabla est satisfait. Avec cette allocation, l’éleveur a agrandi son troupeau de chèvres. « J’aimerais bien que les versements continuent, je pourrais offrir des études supérieures à mes enfants », envisage-t-il, avant de s’interrompre, soudainement inquiet : « J’espère juste qu’ils n’ont pas fait d’erreur et que je ne devrai pas rembourser ! »
(Source : L’Express)
Comme vous le constatez chers(es) amis(es) de la planète, la finalité de toute cette histoire et le soucis premier des gens est d’être heureux qu’on les aide, mais ils ont peur aussi s’ils devaient rembourser tout ce qu’on leur donne.
Néanmoins, tout dirigeant qui se respecte devrait avoir à coeur de ne plus avoir de pauvreté dans son pays, ce serait déjà un minimum. Du travail pour toutes & tous serait l’idéal, mais encore une fois bien trop de personnes sont laissées à la traîne et un algorithme comme ça prouve que la technologie peut venir à bout des petites & grandes imperfections d’un Etat !
Sur ce je vous laisse, je vous retrouve demain, en attendant je vous souhaite une bonne fin de journée ainsi qu’une douce soirée.
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Paola