Après la révolution de 2011, de nombreux jeunes Tunisiens ont quitté le pays pour rejoindre les combats en Syrie et en Libye.
Aujourd’hui, le devenir des survivants est en suspens.
Seuls quelques-uns ont été rapatriés.
Dans un café du quartier dense et populaireEttadhamen, à Tunis, Othman S. froisse et défroisse nerveusement deux documents. Le premier est un article concernant sa sœur, Imen, 32 ans, partie en Syrie avec son mari, candidat au djihad, et ses deux enfants en 2015 ; le second est une récente convocation de la police.
Le quotidien d’Othman, père de famille et mécanicien quadragénaire, s’est transformé en une routine angoissante depuis le départ de sa sœur, dont il attend en permanence des nouvelles sur la messagerie WhatsApp. Elle est actuellement détenue avec ses enfants dans le camp de Roj, au Kurdistan syrien. Selon Othman, son mari serait également prisonnier des forces kurdes.
Othman doit souvent rendre des comptes à la police qui, dit-il, « fait son travail, mais pas toujours de façon respectueuse ». Lors du dernier interrogatoire, son téléphone a été confisqué, et les mots de passe de son compte Facebook modifiés. « J’ai pris un avocat parce que ça commence à m’épuiser, raconte-t-il. On m’appelle au milieu de la journée pour venir au poste de police. Je dois interrompre mon travail, rester là-bas parfois jusqu’à minuit. » Il explique que sa sœur a été contrainte au voyage en Syrie, forcée par son mari, qui assurait vouloir y chercher son frère, lui-même parti en 2013.
Accusations de gestion laxiste
A la suite de la révolution de 2011,Ettadhamen est devenu, à l’instar d’autres quartiers populaires de la capitale tunisienne, un haut lieu des prêches salafistes menés par la mouvance Ansar Al-Charia, proche de réseaux d’Al-Qaida et très active jusqu’en 2015.De nombreux prisonniers politiques islamistes détenus par le régime de Ben Ali ont été libérés à partir de janvier 2011, dont des militants du courant salafiste-djihadiste qui ont jeté leur dévolu sur des mosquées de quartiers et de bourgades populaires alors que nombre d’imams qui officiaient sous le régime en étaient expulsés. Parmi la jeunesse désœuvrée et en plein questionnement identitaire de ces lieux, beaucoup se sont identifiés à l’idéologie prônée par ces prêcheurs, mais aussi au sort des Syriens, dont la révolution était réprimée dans le sang.
Le premier gouvernement tunisien élu après la chute de Ben Ali, issu d’une majorité parlementaire islamiste, a été accusé de laxisme concernant les départs, des députés islamistes encourageant même ce nouveau djihad dans un contexte politique tendu. Mais ce phénomène de radicalisation n’a pas commencé avec la révolution, selonAli Moez, président de l’Union des Tunisiens indépendants pour la liberté (UTIL), qui a travaillé sur la prévention et la lutte contre l’extrémisme violent et le développement des politiques publiques sur le sujet. « Nous avons connu l’attentat de la Ghriba en 2002 [une attaque suicide contre la synagogue de Djerba], la tentative de constitution de groupes armés en 2007, mais aussi des jeunes qui partaient faire la guerre en Irak. La période post-révolutionnaire a permis à des réseaux propagandistes d’avoir une nouvelle visibilité et de se structurer. »
(Source : Le Monde – Par Lilia Blaise(Tunis Correspondance) Publié hier à 18h45, mis à jour à 09h12)
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