DOUTE. Les autorités font face à la méfiance des populations. La peur des Congolais d’être pris pour des cobayes de l’industrie pharmaceutique est très ancrée.
Le refus du vaccin anti-Covid-19 en République démocratique du Congo s’explique bien entendu de plusieurs manières. Pour bien comprendre, il faut savoir que le géant d’Afrique centrale est dans une situation assez particulière puisque le pays doit affronter en même temps deux épidémies : le Covid-19 et Ebola qui, d’après le ministre de la Santé publique, a resurgi dans une région de l’Est après la mort d’une femme de 42 ans. La vaccination contre Ebola est déjà connue des Congolais, mais elle ne les a jamais vraiment convaincus. Certains retardent ou refusent toujours les vaccinations pour eux-mêmes ou pour leurs enfants contre le virus Ebola, parce qu’ils estiment ne pas avoir confiance car il n’y a pas assez de recul sur son expérimentation. Alors l’arrivée d’un vaccin supplémentaire comme celui contre le coronavirus ne rassure pas du tout. De nombreux messages évoquant des théories du complot sont régulièrement partagés dans les réseaux sociaux. Parmi celles qui persistent le plus figure l’idée répandue qu’il s’agit de « stérilisants » produits par les laboratoires pharmaceutiques dont l’objectif, d’après eux, serait de freiner la démographie congolaise.
Théories complotistes et méfiance envers la vaccination
Cette thèse loin d’être nouvelle est en train de refaire surface à Kinshasa, la capitale où elle est de plus en plus partagée. Marie-Jeanne, 22 ans, étudiante à l’université de Kinshasa, affiche son ras-le-bol contre l’annonce de la vaccination par les autorités du pays qui veulent faire reculer les contaminations au Covid-19. « Cette annonce ne nous surprend pas, connaissant l’influence des lobbys des grandes puissances et leurs industries pharmaceutiques sur nos dirigeants juge-t-elle. Nous n’accepterons pas ce vaccin qui est ni plus ni moins un stérilisant. » « Des connaissances en Europe et aux États-Unis nous alertent chaque jour et nous invitent à la prudence afin de réserver un refus catégorique si une telle entreprise se réalisait », a-t-elle averti sans détour.
Alain Kanzenze, 41 ans et commerçant au marché Gambela, un des endroits les plus fréquentés de Kinshasa, d’enfoncer le clou : « Ces pays développés ont tenté par le passé en vain de nous convaincre de limiter les naissances et aujourd’hui ils changent de formules en se cachant derrière ces vaccins. C’est dommage d’avoir des autorités qui ne nous protègent pas et prêtes à nous utiliser comme des cobayes pour des fins mesquines.
Éric et Marie-Claire, un jeune couple au sortir d’une consultation prénatale dans un centre de santé de Kinshasa, fustigent quant à eux « l’éternelle tendance des gouvernants congolais à souscrire à toute initiative ou traité mondial, pourvu qu’ils en tirent bénéfices ». « C’est sûrement qu’ils vont recevoir gratuitement ces vaccins des partenaires internationaux en l’occurrence de l’OMS, mais au finish, pour les revendre au petit peuple meurtri, via des hôpitaux partenaires. De toute façon, moi et ma femme nous ne serons pas candidats peu importe que ce soit gratuit ou payant, nous avons besoin de la progéniture », fustige-t-il.
Illustration : plus tôt cette semaine, une rumeur de vaccination d’écoliers contre le Covid-19 a poussé des parents à récupérer leurs enfants des écoles dans deux villes de la RDC, créant un climat de panique, a rapporté l’Agence française de presse. « Une folle rumeur qui s’est répandue ce matin, comme une traînée de poudre (…), fait état du début d’une campagne de vaccination contre le Covid-19 dans certaines écoles » à Bukavu, dans la province du Sud-Kivu (Est). « Informés, les parents d’élèves ont accouru, dans une ambiance de sauve-qui-peut, vers les écoles pour récupérer leurs enfants », a écrit le service de communication du gouverneur du Sud-Kivu. « Le gouverneur de province, Théo Ngwabidje Kasi, tient à faire un démenti formel de cette fausse information qui a créé la panique au sein de la population. Il précise qu’aucun vaccin n’est arrivé au Sud-Kivu, encore moins à Bukavu », selon le communiqué de presse. La même panique a été enregistrée dans quelques écoles de Lubumbashi, deuxième ville du pays, dans le Sud-Est, où la même rumeur qu’à Bukavu a été véhiculée à travers les réseaux sociaux.
L’appui indispensable des communautés
Le ministre de la santé publique, Eteni Longondo a annoncé à la télévision publique que le gouvernement va bientôt lancer des campagnes de sensibilisation et d’explication auprès des populations pour promouvoir le vaccin contre le coronavirus. « Le vaccin contre le Covid-19 est une voie inévitable maintenant, même si ce n’est pas obligatoire pour la population, c’est une voie nécessaire qui peut sauver les vies ». « Et nous pensons que nous allons bientôt introduire le vaccin ici, évidemment après avoir fait des analyses approfondies » a-t-il ajouté, sans révéler le nom du vaccin choisi ni la date du début de la vaccination effective.
Le Dr Jean-Michel Mavungu, spécialiste en santé publique, exhorte pour sa part tous les acteurs à travailler plus en amont avec les communautés pour obtenir leur adhésion au programme de vaccination : obtenir : « Les stratégies de santé les plus efficaces sont celles qui se font avec la pleine participation de la population et cette participation se construit avant, pendant et après une intervention. » Les premiers cas de coronavirus ont été diagnostiqués en RDC le 10 mars 2020. Depuis, 25 144 cas ont été enregistrés, pour 700 décès, selon le dernier bilan officiel. Sur les 26 provinces du pays, 23 sont touchées par la pandémie, la capitale Kinshasa étant en tête des contaminations.
Le dilemme entre vaccination et traitement curatif
Au-delà de cette méfiance vis-à-vis de la vaccination, les Congolais ont également leurs habitudes avec les traitements locaux. Des chercheurs congolais ont récemment présenté leurs découvertes à base de produits traditionnels censés traiter le coronavirus et dont les résultats ont été salués par le président de la République Félix Tshisekedi en ces termes : « Le vaccin est un passage obligé. Mais nous privilégions aussi le traitement curatif. Nous avons deux produits qui promettent en tout cas par leurs premiers résultats. Ce sont des produits congolais. »
L’un de ces produits s’appelle le « Manacovid », déjà en pharmacie et vendu sans ordonnance. L’Organisation mondiale de la santé a fait part de son « extrême prudence » face à ces produits. « Les essais cliniques sont essentiels pour fournir des preuves scientifiques sur la sécurité, l’efficacité et la qualité de tous les médicaments, que l’approche soit traditionnelle ou moderne », a souligné l’OMS.
(Source : Par Junior Malula, à Kinshasa)
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Paola