Des Tunisiens blessés pendant la révolution de 2011 réclament des dédommagements, le 6 janvier 2021 à Tunis.
La Tunisie marque jeudi les 10 ans de la fuite de son autocrate Zine el Abidine Ben Ali sous la pression populaire, un évènement qui a enclenché un processus démocratique aujourd’hui fragilisé par les difficultés à réformer l’économie et offrir des perspectives sociales.
Les Tunisiens ont déjà commémoré en décembre, sans enthousiasme, l’immolation du jeune marchand ambulant Mohamed Bouazizi, le 17 décembre 2010 dans le centre défavorisé du pays, qui allait déclencher la révolution.
Le départ de Zine el Abidine Ben Ali le 14 janvier 2011, après 23 années de règne, a été suivi par des soulèvements dans plusieurs pays de la région et la chute d’autres autocrates. Mais la Tunisie est le seul à avoir poursuivi sa démocratisation.
Pourtant, les festivités s’annoncent limitées jeudi: l’humeur est à la déception face au manque d’améliorations sociales, tandis que l’explosion du nombre de cas de nouveau coronavirus entrave les rassemblements.
Les Tunisiens, jeunes en tête, étaient descendus dans la rue en janvier 2011 pour réclamer notamment du travail. Aujourd’hui, plus d’un tiers des jeunes (35%) sont officiellement au chômage, tout comme plus de 30% des diplômés de l’enseignement supérieur.
Après des années de débats houleux, islamistes et opposition sont arrivés à un compromis en 2014 sur une Constitution, saluée comme une avancée historique, et le pays a depuis connu plusieurs scrutins équitables.
Les nuages se sont amoncelés au fil des années: assassinats politiques, vague d’attentats jihadistes, instabilité et tensions politiques quasi permanentes, décès d’un président en exercice en 2019…
Mais la transition a tenu bon et un prix Nobel de la Paix au « dialogue national » est venu saluer fin 2015 les efforts de compromis.
La situation sécuritaire s’est aussi largement améliorée ces dernières années. La présidentielle de 2019 a porté au pouvoir un universitaire antisystème, Kais Saied.
– « Rêve réalisé » –
En matière de liberté d’expression, la Tunisie fait figure d’exception sur la rive sud de la Méditerranée. Elle est largement ancrée dans les médias comme dans l’art. Certains blogueurs censurés sous Ben Ali animent aujourd’hui des médias indépendants.
« Avoir des bureaux, une équipe de journalistes qui travaille librement sur le terrain, c’était un rêve il y a dix ans, et ce rêve s’est réalisé », souligne l’opposant Sami Ben Gharbia, revenu d’exil en 2011 et dont le blog Nawaat est devenu un site d’informations de référence.
La liberté d’association a donné naissance à une société civile dynamique, qui s’est mobilisée face aux tentatives de remise en cause des avancées démocratiques.
Mais la classe politique, empêtrée dans des luttes de pouvoir, s’est montrée incapable d’agir. Or, l’urgence sociale n’a cessé de s’accentuer, avec à présent les conséquences profondes de la pandémie, dont une récession inédite.
Les manifestations se sont multipliées ces dernières semaines dans les régions marginalisées pour réclamer, une nouvelle fois, investissements et emplois.
« On n’est pas passé de la transition démocratique à la transition économique. Les différents gouvernements ont essayé d’acheter la paix sociale sans avoir de politique de développement économique ou d’intégration sociale sur le long terme », estime l’éditorialiste Zied Krichen.
Et dix ans après, des manifestants blessés lors de heurts avec la police et se retrouvant infirmes se battent toujours pour être reconnus officiellement comme victimes et obtenir des dédommagements.
– Nostalgie –
L’Etat a embauché en masse — les effectifs de la fonction publique ont augmenté de 50% de 2010 à 2017 — et augmenté les salaires, mais « cela n’a pas suffi à répondre aux attentes énormes », souligne-t-il.
M. Krichen critique l’économie « parasite » entretenue par des grands groupes bénéficiant surtout de la revente de produits importés.
D’autres dénoncent un « capitalisme de copinage », entretenu par l’Etat et des conglomérats familiaux qui se protègent de leurs concurrents via des règles de complaisance.
Ainsi, « l’Etat impose aux compagnies de transport routier d’avoir soit un seul camion, soit plus de 18, garantissant aux gros acteurs en place de se partager le marché sans concurrence », explique Louaï Chebbi, président de l’ONG Alerte, qui lutte contre ce fléau.
Ces grands groupes et l’administration ont de larges participations dans les banques, compliquant l’accès au financement des autres.
Face à la crise, le président a accepté fin décembre le principe d’un nouveau « dialogue national » à l’initiative du puissant syndicat UGTT, mais les divergences restent importantes sur ses modalités.
Et les difficultés sociales alimentent une nostalgie de l’ancien régime, qui cultivait l’image d’une réussite économique.
Pour de nombreux Tunisiens, la liberté apportée par la révolution « ne nourrit personne ».
Mais pour M. Krichen, malgré une « situation très difficile », « un retour à une dictature reste peu probable ».
(Source : ©FETHI BELAID, AFP© Orange 2021 – 12 janvier 2021)
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Paola