Des anthropobiologistes tentent de faire parler les ossements retrouvés à Iroungou afin de connaître le régime alimentaire, les maladies et les causes de décès de leurs propriétaires.
Au fond d’une grotte cachée dans la dense forêt gabonaise, la découverte d’une multitude d’ossements humains datant du XIVe siècle pourrait lever un coin du voile sur l’histoire de l’Afrique centrale, encore largement méconnue.
C’est fin 2018 que Richard Oslisly, géo-archéologue passionné, a mis au jour, dans le sud du Gabon, cette cavité recelant de nombreux squelettes et objets datant de l’époque médiévale. Au bout des 25 mètres de corde nécessaires pour en toucher le fond, pas de diamants ni de soucoupes en or mais une véritable caverne d’Ali Baba pour les chercheurs. Dans la grotte baptisée Iroungou, près de 30 squelettes, plus de 500 objets métalliques majoritairement en fer – couteaux, haches, pointes de sagaies, bracelets, colliers – et 39 dents percées de panthères et de hyènes ont été retrouvés, dispersés sur trois niveaux.
Un an après cette découverte, le chercheur français commence seulement à faire parler ces vestiges : une équipe d’anthropobiologistes est partie récemment à la découverte de ces ossements qui suscitent l’excitation et l’espoir de la communauté scientifique de cette partie du continent.
« C’est une découverte unique en Afrique, car les restes humains y sont quasi inexistants », s’émerveille M. Oslisly, 69 ans, à la tête de cette expédition financée par l’Agence nationale des parcs nationaux (ANPN) et la direction environnement et développement durable du groupe singapourien Olam, très présent au Gabon pour ses palmiers à huile. « Cette grotte va nous permettre d’en savoir un peu plus sur ces peuples d’Afrique centrale, largement méconnus de l’histoire », s’enthousiasme-t-il dans son bureau de Libreville rempli d’antiquités locales.
Des molaires envoyées en France
En Afrique subsaharienne, « les sols sont très acides et tout ce qui est d’origine animale et humaine se décompose très rapidement », fait remarquer Geoffroy de Saulieu, archéologue pour l’Institut de recherche pour le développement (IRD) : « C’est exceptionnel d’avoir ce type de vestiges. » Des datations au carbone 14 sur une dizaine de fémurs ont permis de fixer l’âge de ces restes humains au XIVe siècle. Une découverte d’une grande valeur, car ici les traces du passé sont rares, aussi, parce que la recherche archéologique a été tardive et demeure largement sous-financée.
Les premières sources écrites au Gabon datent de l’arrivée des Européens, qui débarquèrent sur les côtes à la fin du XVe siècle. Mais il faudra attendre le XIXe siècle pour que les explorateurs s’enfoncent dans ses terres recouvertes en quasi-totalité par une forêt aussi majestueuse que menaçante.
Quant aux sources orales – l’histoire des clans, des familles, transmise de génération en génération dans les villages –, « elles ne permettent de remonter qu’à un ou deux siècles », note Louis Perrois, un anthropologue français qui a retranscrit les traditions orales d’une bonne partie du pays à la fin des années 1960. Dans les villages autour d’Iroungou, les chercheurs ont bien interrogé les anciens, en vain : personne ne connaissait l’existence de cette grotte et les villageois n’ont aucune idée de qui pouvaient être ces hommes et ces femmes.
Des molaires ont été envoyées dans un laboratoire en France pour des analyses ADN. Les chercheurs pourront ainsi compter sur une solide base ADN de données salivaires des populations compilée dans toute l’Afrique centrale par des linguistes pour « croiser les données et, peut-être, trouver les héritiers de ces squelettes », espère M. Oslisly, toujours aussi mordu après plus de 35 années de recherches au Gabon et au Cameroun.
Un héritage quasi unique
Deux anthropobiologistes, spécialistes de pathologie osseuse, s’activent au fond de la grotte pour faire parler les ossements. « Nous allons en savoir plus sur le régime alimentaire des personnes inhumées et sur les maladies qu’elles ont pu contracter au cours de leur vie, espère M. Oslisly. Mais aussi et surtout, nous allons savoir de quoi elles sont mortes. »
Iroungou a révélé un héritage quasi unique : hormis une accumulation d’ossements humains mise au jour dans les années 1960 à Benin City, dans le sud du Nigeria, c’est la seule grotte sépulcrale découverte à ce jour dans cette région du monde. Or les ossements de Benin City et d’Iroungou datent tous deux du XIVe siècle, une époque où de nombreuses civilisations africaines se seraient effondrées, selon plusieurs historiens.
Au même moment, la grande peste ravageait l’Europe et l’Asie. Et si cette maladie avait frappé le continent africain ?, s’interrogent les chercheurs. Une hypothèse à laquelle la découverte de M. Oslisly pourra peut-être répondre. « A Benin City, les ADN n’ont pas été conservés, alors qu’à Iroungou les ossements sont en très bon état », explique M. de Saulieu.
(Source Le Monde)