Le parti Ennahdha (à référentiel islamiste) a obtenu 17,5 % des voix aux élections législatives dimanche dernier , devant la formation de l’homme d’affaires Nabil Karoui, Au Cœur de la Tunisie avec 15,6 % des voix.
Les indépendants sont les grands gagnants du scrutin, ce qui devrait compliquer le processus de formation d’une coalition dans un contexte économique fortement dégradé. D’après les dernières estimations des instituts de sondage qui lui donnent entre 40 et 46 sièges sur les 217 de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP, parlement monocaméral). La formation connaît une érosion constante des votes depuis la révolution de Jasmin, qui lui avait permis de rentrer dans le jeu partisan. Elle est passée de 1,7 million de voix aux législatives en 2011 (89 sièges au parlement) à 900 000 en 2014 (69 sièges) et moins de 500 000 aujourd’hui.
Pour arracher in extremis la première place, Ennahdha s’est rangé de manière opportuniste derrière le candidat « hors système » et sans parti de la présidentielle, le juriste Kaïs Saied, arrivé en tête du premier tour et donné gagnant au second. Cette stratégie lui a permis de remobiliser une base conservatrice sur les questions sociétales comme a su le faire celui qui s’est construit en marge de l’élite politique.
Ces résultats laissent néanmoins la jeune démocratie avec un Parlement fragmenté qui rend difficile la constitution d’une majorité, à 109 sièges. Selon la Constitution de 2014, les députés ont la charge d’élire le Premier ministre, lequel supervise la plupart des portefeuilles de politiques intérieures, tandis que le président de la République n’exerce que les charges régaliennes (Affaires étrangères et Défense).
Ennahdha devra donc construire des alliances pour gouverner, peut-être autour de quatre à cinq blocs. Or, le parti de Qalb Tounes (Au Cœur de la Tunisie), qui a aussi proclamé sa victoire (arrivé deuxième en fait avec 35 à 37 sièges), a exclu de travailler au sein d’une même coalition avec le parti islamiste. Le chef de ce parti, Nabil Karoui, le magnat des médias qualifié pour le second tour de la présidentielle malgré son incarcération, propose de constituer une offre alternative autour des « modernistes ». La logique voudrait que les modernistes se rassemblent, mais les querelles de personnes sont trop fortes dans la mouvance qui émergé dans le sillage de l’ex président Béji Caïd Essebsi en 2014. Cela rend illusoire toute recomposition de cette famille politique.
Derrière ce duo de tête, le paysage parlementaire est très morcelé : une série de formations hétéroclites se partagent les principaux sièges, avec moins de 20 députés chacune. Les grands vainqueurs, comme lors des municipales de l’an dernier, sont les listes indépendantes et de petits partis ou coalitions. Cela témoigne du mécontentement profond de la population à l’égard des camps séculiers-réformistes (dit modernistes et islamistes) les deux forces qui co-gouvernent le pays depuis 2011.
Ennahdha dispose dorénavant de deux mois pour former une coalition gouvernementale avant que, s’il échoue, le président puisse demander à un autre parti d’entamer des discussions. Cela va donner lieu à d’intenses tractations politiques dans les prochaines semaines et à des débauchages.
« On s’apprête à connaître une grande période de transhumance politique qui va permettre de dévoiler les visages des opportunistes », prédit un analyste politique du pays.
Ennahdha devrait pouvoir compter sur l’appui de la coalition El-karama (Dignité) dirigée par Seifeddine Makhlouf, ex-candidat à la présidentielle. Ce qui inquiète la communauté internationale : cet avocat a défendu des personnes soupçonnées d’appartenir à des organisations terroristes et compte dans ses rangs des révolutionnaires et des islamistes toujours prompts à agiter la fibre nationaliste et anti-française. « On ne peut bâtir aucune coalition cohérente avec les résultats disparates de ces législatives et cette fragmentation, ce qui devrait théoriquement contraindre les Tunisiens à se rendre à nouveau aux urnes dans cinq mois, poursuit l’analyste. Mais les nouveaux élus n’ont pas intérêt à une dissolution du parlement, ce qui pourrait in fine conduire à la constitution d’une coalition hétéroclite. »
Les indépendants et petits partis sont en position de force pour négocier au mieux leur ralliement. Pour parvenir à ses fins, Ennahdha pourrait aussi confier le poste de Premier ministre à un moderniste pour rassurer la frange urbaine et laïque de la population. « Tous les scénarios sont possibles y compris la reconduction du chef de gouvernement, Youssef Chahed, dont le parti aura quelques sièges à l’assemblée », conclut l’analyste. (Source l’Opinion)