Un des leaders des séparatistes de la minorité anglophone du Cameroun, Julius Ayuk Tabe, a été condamné mardi 20 août à la prison à vie pour « terrorisme » et « sécession », un verdict qui risque d’envenimer un conflit déjà meurtrier dans l’ouest du pays. Julius Ayuk Tabe, 54 ans, qui s’était autoproclamé en 2017 « président » de l’« Ambazonie », l’État que les séparatistes de la minorité anglophone veulent fonder, a été condamné à la perpétuité avec 9 de ses partisans par un tribunal militaire de Yaoundé.
Favorable à la négociation plutôt qu’à l’affrontement
Une partie des anglophones, qui représentent environ 20 % des 23 millions de Camerounais, s’estiment « marginalisés » par l’État. En 2016, une partie des habitants des provinces anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest avaient commencé à manifester pour demander davantage de reconnaissance de l’État central. Face au refus des autorités et à la répression, une partie des séparatistes avait pris les armes en 2017 et les affrontements avec les forces de sécurité ont fait, depuis, plus de 2 000 morts selon l’organisation internationale de défense des droits humains Human Rights Watch (HRW)
Julius Ayuk Tabe, est une figure de la contestation séparatiste et milite depuis plusieurs années pour que les deux provinces anglophones se séparent de la partie francophone du pays. Il s’est récemment dit ouvert au dialogue avec le gouvernement, sous conditions, plutôt que partisan d’une sécession par les armes, ce qui lui vaut d’être contesté par la branche radicale armée du mouvement.
Une condamnation dénoncée
En janvier 2018, Julius Ayuk Tabe avait été interpellé avec 46 autres indépendantistes à Abuja par le renseignement nigérian. Ils avaient ensuite été transférés à Yaoundé. Une extradition jugée illégale par la justice nigériane en mars 2019.
Le procès de Julius Ayuke Tabe et des neuf autres séparatistes s’était ouvert fin décembre. Les avocats des condamnés se concertent pour un éventuel appel, a déclaré à l’AFP l’un d’eux, Joseph Fru, dénonçant une « parodie de justice ».
Reconnu coupable de « terrorisme » et « sécession », Julius Ayuk Tabe a été condamné à la prison à vie mardi 20 août. Cette décision risque de mettre le feu aux poudres dans un pays divisé entre francophones et anglophones, en proie à un conflit larvé dans l’Ouest.
« Cette condamnation risque d’aggraver la situation sécuritaire en zone anglophone dans les prochaines semaines », estime un expert du Cameroun du groupe de réflexion International Crisis Group (ICG), qui a requis l’anonymat. « Elle pourrait radicaliser, selon lui, une partie des séparatistes qui voyaient dans le fait que ces leaders n’avaient pas encore été condamnés une marque d’espoir ».
Cette décision tombe alors que, après trois ans de conflit, des signes d’ouverture avaient affleuré ces derniers mois. Face aux pressions internationales, le président Paul Biya, 86 ans et au pouvoir depuis 37 ans, s’était dit prêt en mai à organiser un dialogue, tranchant avec l’intransigeance affichée jusque-là par Yaoundé.
En réponse, Julius Ayuk Tabe s’était dit disposé à participer à des pourparlers, mais uniquement à l’étranger et posant en préalable sa libération ainsi que celle de tous les détenus dans le cadre de la crise anglophone.« Il a beaucoup de poids chez les anglophones. Sa condamnation va rendre la résolution de la crise encore plus compliquée », a déclaré à l’AFP Denis Nkenlemo, porte-parole du principal parti d’opposition, qui ne souhaite pas la sécession, le Social democratic front (SDF). « On ne peut pas être en train d’amorcer un dialogue et prononcer des condamnations à vie » contre des interlocuteurs potentiels, a renchéri la directrice du Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale (Rédhac), Maximilienne Ngo Mbe. « Cela va accroître la violence dans ces régions », s’est-elle inquiétée auprès de l’AFP.
Depuis le début du conflit, la terreur règne dans l’Ouest, selon les ONG. Des combats opposent quasi-quotidiennement l’armée, déployée en nombre, à des groupes épars de séparatistes armés qui, cachés dans la forêt équatoriale, attaquent gendarmeries et écoles et multiplient les enlèvements de militaires, de dignitaires locaux mais aussi de civils.
Les militaires commettent en retour de nombreuses exactions et crimes contre les civils, affirment les ONG internationales.
Mardi, HRW a ainsi accusé les forces de sécurités camerounaises d’avoir torturé des dizaines de détenus séparatistes, arrêtés à la suite d’une mutinerie dans une prison de Yaoundé en juillet.
Le conflit au Cameroun anglophone a forcé plus de 530 000 personnes à quitter leur foyer, selon des chiffres de l’ONU. Outre la crise anglophone, le pays vit une période de troubles politiques inédits depuis la réélection de Paul Biya en octobre 2018, contestée par l’opposition. Plusieurs de ses figures, dont Maurice Kamto, arrivé deuxième à la présidentielle de 2018, sont en prison. Et dans le Nord, le groupe djihadiste nigérian Boko Haram multiplie les attaques meurtrières. (Source Ouest France)