Depuis 2009, une unité canine veille sur les animaux de la réserve kényane du Masai Mara. La région où chaque année des milliers d’animaux de la savane effectuent la grande migration entre la Tanzanie et le Kenya, attire des braconniers en quête de proies faciles.
« Trouve ! » L’ordre est bref, mais efficace : Shakaria se raidit d’un bond et renifle frénétiquement le sol. La laisse se tend et ce chiot de cinq mois navigue d’un pas assuré à travers les hautes herbes de la réserve nationale du Masai Mara, au Kenya. Quelques minutes plus tard, elle débusque sans peine un ranger caché dans la savane, jouant le rôle d’un braconnier que ce chien de Saint-Hubert (un Bloodhound) au pelage brun s’entraîne à traquer.
Shakaria est la meilleure des cinq nouvelles recrues entraînées pour rejoindre une unité canine devenue essentielle à la lutte contre le braconnage dans le triangle du Mara, une zone particulièrement riche en faune sauvage au sein du Maasai Mara.
Au cœur de « la grande migration »
C’est ici que plus d’un million de gnous et des dizaines de milliers d’autres animaux effectuent chaque année la célèbre grande migration entre la Tanzanie et le Kenya, attirant des hordes de touristes mais aussi des braconniers en quête de proies faciles.
Si le trafic d’ivoire retient l’essentiel de l’attention, le principal défi du parc est la lutte contre le trafic de viande d’animaux sauvages, séchée et exportée notamment vers l’Ouganda et leRwanda, explique Lema Langas, un des responsables de l’unité canine. Un rapport du gouvernement datant de 2014 prévient d’ailleurs que ce trafic, largement ignoré, a atteint « des niveaux sans précédents », évoquant notamment l’arrestation d’un véhicule qui avait quitté la zone du Maasai Mara avec à son bord 6 tonnes de viande d’une valeur de 11 000 dollars (9 500 euros). La pratique « pourrait mener à l’extermination de nombreuses espèces », mettait en garde le rapport.
Les ravages des collets métalliques
Les braconniers « déposent des collets métalliques ou peut-être aussi chassent des animaux jusque dans certaines vallées et utilisent des machettes », explique ce Maasai de 30 ans, évoquant « les gazelles de Thomson, les impalas, les girafes, les buffles et lors de la migration, les gnous qui sont ici ». Mais les collets font de nombreuses autres victimes, comme les éléphants et les lions.
Durant la saison de la grande migration, en juillet et en août, les rangers trouvent des milliers de pièges à collets, précise M. Langas, se souvenant notamment en avoir démonté 511 en une seule journée en 2017. L’introduction de l’unité canine en 2009 a pourtant nettement amélioré la traque des braconniers, estime-t-il.
C’est cette année-là qu’un couple d’anciens policiers américains spécialisés dans la traque de fugitifs, Linda Porter et John Lutenberg, a fait venir au Kenya deux chiens rompus à cet exercice.
Près de dix ans plus tard, l’unité compte quatre « traqueurs » de braconniers et deux autres spécialistes de la détection des armes à feu et de l’ivoire aux entrées du parc. Les nouvelles recrues, dont Shakaria, sont, elles, nées au Kenya et s’entraînent d’arrache-pied.
Ces chiens « utilisent leur nez pour voir, pas comme nous », se réjouit Lema Langas. « Si on ne voit aucune trace […], mais qu’on suspecte que le braconnier est passé par un endroit, et bien on demande au chien de suivre l’odeur. »
La période noire du triangle de Mara
Le triangle du Mara a connu une période noire vers la fin des années 90, miné par le braconnage et l’insécurité, relate un ranger, qui se souvient « de touristes volés, déshabillés et abandonnés au bord de la route ».
L’arrivée de l’unité canine s’inscrit dans le cadre d’une série de mesures prises après le tournant du millénaire, quand la gestion de la réserve a été confiée à la Mara Conservancy, un partenariat public-privé impliquant les communautés locales maasai. Les chiens ont permis de réduire drastiquement le braconnage de jour, alors que des caméras thermiques, notamment, sont utilisées la nuit.
Dans le même temps, la collaboration avec les communautés locales asphyxie les gangs de braconniers du côté kényan de la frontière. « Si la communauté apprend que quelqu’un veut tuer un animal », elle le signalera, assure M. Langas.
Sur les 18 dernières années, plus de 4 000 braconniers ont été arrêtés dans la région du Maasai Mara, estime Asuka Takita, une vétérinaire japonaise ayant aidé à créer l’unité canine. La majorité du braconnage actuel est commis le long de la frontière entre le Kenya et la Tanzanie, par des criminels cherchant une fuite facile en cas de problème. Mais un accord transfrontalier permet désormais aux rangers et à leurs chiens de s’aventurer loin au sud dans l’immense parc du Serengeti, le prolongement du Maasai Mara côté tanzanien. « Nous sommes la première ligne de défense […]. On empêche les braconniers de venir au Mara, du côté kényan », souligne Mme Takita, qui soupire toutefois devant l’ampleur actuelle du braconnage. « Il y a encore beaucoup de travail à faire ». (Source OuestFrance)