Aujourd’hui est la Journée Internationale contre les violences faites aux femmes et en 1976, la militante féministe et écrivain Benoîte Groult l’auteur d’Ainsi soit-elle disait
: « Ce qu’il y a de curieux, c’est cette espèce de complot tacite qui a toujours admis que la femme était l’esclave de l’homme… »
« Depuis toujours, que ce soient les mutilations physiques, les pieds bandés en Chine, les femmes girafes en Birmanie, les négresses à plateau…(…) on a essayé de maintenir les femmes dans un état d’infériorité, de demi-humanité. » « Sous les Grecs il y avait une religion assez humaine où il y avait une Déesse mère, ce qui est bien normal : la Terre c’était la fécondité, la mère. Mais notre religion judéo-chrétienne est tout de même assez redoutable pour les femmes, c’est le Père, le Fils, le Saint Esprit ! Il n’y plus trace de femmes… Et la seule femme qu’on voit, ce n’est pas un modèle pour les femmes puisque justement elle a été vierge et mère, ce qui est une impossibilité biologique. Donc la femme est écartée de la divinité. Elle est déjà violentée et opprimée au fond, dans sa nature même. »
Les femmes battues ont toujours fait rire. Depuis les fabliaux du Moyen Âge, ça été un grand sujet de plaisanterie. Et on ne veut pas être solidaire des femmes, on ne veut pas imaginer ce que ça doit être de passer 20 ans aux côtés d’un mari ivrogne, brutal, jaloux maladivement… Il y a toujours eu ce voile de pudeur sur la situation féminine. » Le fin’amor n’a pas droit de cité partout… Les « Coutumes de Beauvaisis », rédigées par le jurisconsulte Philippe de Beaumanoir au XIIIe siècle, autorisaient le mari à battre une épouse désobéissante ; et la pratique était plus que répandue.
Pendant 2 siècles on a brûlé 9 millions de sorcières en Europe, parce que c’était un pouvoir féminin qui commençait à inquiéter la société. Chaque fois que [les femmes] ont essayé de sortir, de réagir, que ce soit les féministes aujourd’hui ou les sorcières hier, ç’a été une réaction frénétique pour les ramener à leur place. Toutes les époques ont eu leur « chasse aux sorcières », mais ce mouvement marque principalement les XVIe et XVIIe siècles. Il prend sa source au XVe siècle, lorsque Innocent VIII promulgue une bulle pontificale très politique en décembre 1484, autorisant l’Inquisition à mener une chasse cruelle contre les hérétiques. L’invention de l’imprimerie, peu avant, a favorisé la propagation de cette folie meurtrière !
Pour Pierre-Gaspard Chaumette, procureur de la Commune de Paris pendant la Révolution française, Olympe de Gouges n’était pas moins qu’une « virago », une « femme-homme », une « impudente » : « Olympe de Gouges qui la première institua des sociétés de femmes, abandonna les soins de son ménage, voulut politiquer et commit des crimes (…) Nous voulons que les femmes soient respectées, c’est pourquoi nous les forcerons à se respecter elles-mêmes. » Je crois que c’est aussi une légende cette espèce de portrait robot de la suffragette qui est toujours un monstre, affreuse, poilue, qui n’aime pas les hommes. C’est une légende vous savez, Olympe de Gouges est une femme qui a beaucoup aimé les hommes, [comme] Flora Tristan, Louise Michel… »
Dans l’Antiquité on faisait des césariennes (…) la médecine étudiait les phénomènes féminins et masculins sur le même plan. Et puis avec la religion chrétienne pour qui la femme était un peu le péché, avait été la cause du péché, les phénomènes féminins ont été mis sous le boisseau, complètement. On a oublié des opérations comme la césarienne, qui se faisait comme son nom l’indique du temps de César, et toutes les femmes qui ne pouvaient pas accoucher par les voies normales étaient en somme condamnées à mort. (…) Les bulles pontificales obligeaient en cas de difficultés dans l’accouchement à sacrifier la mère pour pouvoir sortir l’enfant encore vivant et pouvoir le baptiser. En réalité, l’Eglise n’était pas réfractaire à la césarienne, tant qu’il s’agissait de sauver la vie de l’enfant : en 1404, le Concile de Langres accorde ainsi 40 jours d’indulgence à ceux qui pratiquent les césariennes, afin de ne pas mettre en péril la vie de l’enfant à naître. Jusqu’en 1960, l’Eglise préconisait les césariennes sur les femmes mortes en couches, afin de pouvoir extraire l’enfant pour le baptiser. Avec une frénésie particulière pour l’incision à partir du XVIIIe siècle.
Après la Révolution française, et à diverses époques au XIXe, le féminisme avait commencé à exister, à vouloir améliorer la condition féminine. Et puis Freud est arrivé qui a redonné des bases psychologiques, pseudo-scientifiques, à l’oppression féminine en disant qu’elle n’était pas historique ni accidentelle, mais inscrite dans leurs organes. Freud, misogyne ? « À la vanité corporelle de la femme participe encore l’action de l’envie de pénis, étant donné qu’il lui faut tenir en d’autant plus haute estime ses attraits, en dédommagement tardif pour son infériorité sexuelle originelle », assurait-il.
Je crois que ce n’est pas par hasard si cette vague pornographique est arrivée aujourd’hui, parce qu’on sent de nouveau une poussée féministe en ce moment, et il y a un moyen de ramener la femme à sa condition d’objet : c’est de lui prouver que physiologiquement, elle est inférieure, qu’elle aime être battue, qu’elle trouve sa domination et son pouvoir, en réalité dans sa soumission… C’est un moyen de reconquérir la femme-objet sous une forme vraiment désolante et affreuse. (…) C’est difficile de lâcher un fantasme comme celui là. C’est certainement confortable. Ça rassure la virilité. » C’est ici la réaction de Benoîte Groult après qu’elle a été interrogée sur le scandale ayant entouré la parution du roman Histoire d’O, de Pauline Réage, publié en 1954. L’histoire se déroule dans un château où l’on « dresse » les femmes et relate les souffrances d’O, une esclave sexuelle pour qui « amour » rime avec « soumission ».
C’est récent, la chanson de Ferrat n’est pas très ancienne, qui disait ‘Une femme honnête n’a pas de plaisir’. Dans certains pays d’Islam ou d’Afrique, on mutile les femmes physiquement pour être sûr qu’elles n’auront pas de plaisir. Ici en Europe, on les a mutilées moralement pendant longtemps. Je crois que la morale bourgeoise qui avait inventé ce terme atroce de ‘devoir conjugal’ était très coupable de ce point de vue là.
Je trouve que la jeune génération donne un spectacle de fraternité entre garçons et filles. (…) Je suis profondément impressionnée par la mise en commun, dans un couple, de toutes les expériences, y compris l’accouchement. Le fait qu’un père assiste à l’accouchement fait qu’il y participe avec sa femme. J’ai eu trois enfants… Ma mère m’avait dit ‘Surtout, ne te laisse jamais voir par ton mari dans ces phénomènes naturels que sont l’accouchement, l’allaitement, parce qu’ils serait dégoûté des femmes.’ (…) Je trouve qu’un père qui lange son enfant c’est merveilleux, et qu’il crée avec l’enfant un lien physique, un lien de tendresse qui est très important. »
La chronologie s’arrête là, puisque l’émission, rappelons-le, datait de 1976. Et si cette dernière citation de Benoîte Groult dénotait un certain optimisme, force est de constater que 40 ans plus tard, les violences faites aux femmes restent très nombreuses, partout dans le monde, et se multiplient avec la montée des intégrismes. Quant à la France : 50 000 appels par an sont encore passés au 3919, le numéro d’urgence gratuit (c’était l’un des sujets du Journal de 22h du 22 novembre 2016). (Source France Culture) (Les photos ont été mises par moi) ! Paola