Fils d’un chef peul (foulbé) de religion musulmane, Ahidjo est un autodidacte qui a intégré l’administration française comme télégraphiste puis opérateur radio. Élu à l’assemblée territoriale du Cameroun en 1947, il devient conseiller de l’Assemblée de l’Union française de 1953 à 1958 et président de celle-ci en 1957. Vice-Premier ministre chargé de l’intérieur après l’octroi de l’autonomie interne au Cameroun, puis ministre de l’Intérieur (mai 1957). Grâce à un passage en force sagement orchestré par Jean Ramadier, haut-commissaire français de l’État du Cameroun sous tutelle des Nations unies, il fait tomber le gouvernement André-Marie Mbida en démissionnant avec la totalité des ministres du Nord qui lui sont fidèles. Il remplace ainsi André-Marie Mbida à la tête du gouvernement en février 1958.
Grâce à son parti l’Union camerounaise (UC), à une constitution taillée sur mesure, à un tripatouillage électoral et l’aide active de l’armée française qui réduit les rébellions bamiléké et bassa (de l’Union des populations du Cameroun (UPC) proche des communistes de Ruben Um Nyobe), il est élu en mai 1960 président de la République. C’est ainsi qu’il fut placé aux leviers de commande par la France soucieuse de faire échec par tous les moyens à l’UP.C, considérée comme dangereuse pour l’ordre établi. Très critique à son égard, Jean Suret-Canale, spécialiste éminent de l’Afrique, écrira sans détours qu’Ahidjo est «ce minus promu au rang de » sage de l’Afrique » par la grâce conjuguée des troupes françaises et des tortionnaires du SDECE !» et précisera, sans le nommer, qu’«un très haut personnage du régime, ancien condisciple d’Ahidjo, fut il y a quelques années frappé de disgrâce pour avoir laissé échapper l’aveu que le Président dans sa jeunesse, était le dernier de sa classe ! »
Proclamant l’amnistie des maquisards de l’UPC, il réussit à ramener une confiance couronnée par la réunification avec une partie du Cameroun britannique (qui refuse l’intégration au Nigeria après référendum). Le pays devient un État fédéral en octobre 1961.
Ahidjo pense mener un développement économique qui favoriserait l’unification progressive du pays. En avril 1964, Mbida Marguerite, âgée de 36 ans, mère de quatre enfants et épouse du prisonnier politique Mbida condamné à trois ans de prison ferme, se présenta comme tête de liste du PDC aux élections législatives d’avril 1964. Le PDC fut le seul parti politique à avoir osé se présenter à ces élections législatives. Les chefs d’opinion camerounais de cette époque sont tous soit en exil soit en prison. Les résultats de ces élections selon des sources dignes de foi5 donnent une victoire massive au PDC dans ce qui s’appelle alors le Nyong-et-Sanaga. Cette victoire électorale leur fut confisquée au nom de l’unité nationale et du parti unique en gestation. Les électeurs refusèrent que leur soit volée cette victoire électorale. Le gouvernement camerounais de 1964 fit descendre la gendarmerie dans les villages et les protestataires furent massivement déportés vers les camps de concentration tristement célèbres de Mantoum, Tcholliré et Mokolo. Il est réélu en 1965.
Malgré l’opposition du Parti des démocrates camerounais et de l’aile dissidente de l’UPC, il fonde en 1966 un parti unique, l’Union nationale camerounaise (UNC), assigne André-Marie Mbida en résidence surveillée. Au début des années 1970, il parvient à réduire substantiellement l’activité insurrectionnelle de l’UPC grâce à des succès militaires dont le plus grand est la reddition, le jugement et l’exécution capitale en 1970 d’Ernest Ouandié, dernier chef historique de l’UPC. Il est réélu en 1970. Un référendum approuve en mai 1972 une constitution qui fait du Cameroun un État unitaire. Si le président défend à l’extérieur les instances de l’OUA, il se retire cependant, en 1973, de l’Organisation commune africaine et malgache (OCAM). En 1972, il fait insérer dans le Code pénal un article qui punit de prison les actes homosexuels au Cameroun.
De façon inattendue, Ahidjo âgé de 58 ans, qui tient le pays d’une main de fer en ayant réduit à néant la contestation de son régime, si forte au début de sa présidence, décide, tout d’un coup, de se retirer du pouvoir et de céder sa place à son successeur constitutionnel, Paul Biya, le 4 novembre 1982, officiellement pour raisons de santé. Il quitte l’UNC l’année suivante à cause de conflits internes. Après une tentative avortée de coup d’État contre le gouvernement à laquelle il a toujours nié avoir participé le 6 avril 1984, il est accusé et condamné à mort l’année suivante par contumace.
Séjournant alors entre la France, l’Espagne et le Sénégal pendant ces événements, il ne rentra jamais au Cameroun et s’installa au Sénégal où il meurt, d’une crise cardiaque, le 30 novembre 1989. Il est inhumé au cimetière Bakhiya de Yoff, le plus grand cimetière musulman de Dakar. Il convient de signaler que la loi n° 91/022 du 16 décembre 1991 portant réhabilitation de certaines figures de l’Histoire du Cameroun (dont Ahmadou Ahidjo), signée par le président Biya, prévoit que « le transfert des restes mortuaires au Cameroun des personnes [réhabilitées], inhumées à l’extérieur du territoire national, peut s’effectuer à la demande de la famille ou de cujus, sous réserve de la dernière volonté du défunt et conformément à la législation du pays d’inhumation » (art. 3 al. 1) et que « les frais occasionnés par ledit transfert sont à la charge de l’Etat » (art. 3 al. 2)… Il était l’époux de Abiba Germaine Ahidjo.
Vous trouverez ci dessous la copie du discours de démission d’un homme d’exception…. Mais il est totalement anormal que ces restes ne soient pas revenus sur sa terre natale et on peut dire que c’est un homme qui aimait son pays le Cameroun et qu’il a su marquer son temps ! Paola
4 NOVEMBRE 1982 : DISCOURS DE DÉMISSION D’AHMADOU AHIDJO
«Camerounaises, Camerounais, mes chers compatriotes
J’ai décidé de démissionner de mes fonctions de Président de la République du Cameroun. Cette décision prendra effet le samedi 6 novembre à 10 h. En cette circonstance capitale, je voudrais du fond du cœur remercier toutes celles et tous ceux qui, depuis bientôt 25 ans, m’ont accordé leur confiance et apporté leur aide dans l’accomplissement de mes lourdes tâches à la tête de l’Etat.
Je voudrais tout particulièrement remercier les militantes et les militants de notre grand Parti national, l’U.N.C. de leur soutien total, constant et inébranlable.
S’il reste beaucoup à faire dans la grande et longue œuvre de construction de notre cher et beau pays, nous avons ensemble accompli après l’indépendance, la Réunification et l’Unification, des progrès considérables dans tous les domaines.
Notre pays dispose d’atouts importants. L’unité nationale consolidée, des ressources nombreuses, variées et complémentaires, une économie en expansion continue, des finances saines, une justice sociale en amélioration, une population laborieuse et une jeunesse dynamique, de solides et fructueuses relations d’amitié et de coopération en Afrique et dans le monde.
J’invite toutes les Camerounaises et tous les Camerounais à accorder, sans réserve, leur confiance et à apporter leur concours à mon successeur constitutionnel M. Paul Biya. Il mérite la confiance de tous, à l’intérieur et à l’extérieur. Je vous exhorte à demeurer un peuple uni, patriote, travailleur, digne et respecté. Je prie Dieu Tout-puissant afin qu’il continue à assurer au peuple camerounais la protection et l’aide nécessaires à son développement dans la paix, l’unité et la justice.
Vive le Cameroun.